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De l'INTELLIGENCE COLLECTIVE à être soi... 5 questions à Duc HA DUONG

Impossible de donner un titre à Duc Ha Duong ! De son aveu même, il adapte ses étiquettes en fonction de la personne avec qui il échange, partant du principe « qu’il faut s’adapter à l’imaginaire de la personne qui nous reçoit » ! Disons quand même de Duc qu’il est… entrepreneur, fondateur d'Officience - à l'origine une SSII de 300 personnes transformée depuis en un collectif de travailleurs inspirés en France et au Vietnam -, mais aussi auteur, speaker TEDx (1) et champion de l'écosystème entrepreneurial français. Un homme qui prône et met en pratique une approche nouvelle de l'organisation de la production de valeur, et du travail en particulier. Un activiste du changement qui vit par, avec, dans le collectif… Intelligence collective dites-vous ? Plus encore.

Super grand merci Duc d'être à nouveau là !! #CParti!

1/ Pour toi, que recouvre ce terme d’intelligence collective ?
J’ai en tête l’expression émise par quelqu’un faisant la différence entre intelligence collective et intelligence collectée. Cela m’a fait prendre conscience que l’intelligence collective va bien au-delà d’aller collecter des idées et d’en faire un tri – même si je suis volontairement simpliste ! Au-delà de jouer sur la statistique pour faire émerger de nouvelles idées, originales ou inattendues. Mais qu’il s’agit de mettre à contribution les parties non rationnelles de nos cerveaux.

Cela me fait penser à un livre lu en 2005, qui m’a beaucoup inspiré : « Blink : The Power of Thinking Without Thinking », de Malcolm Gladwell. Il y faisait un état de l’art de cette époque concernant l’expérience, l’intuition, et ces différentes capacités que nous avons à penser de manière non consciente, non rationnelle. Capacités qui nous font finalement pencher vers telle idée ou telle option, sans pouvoir toujours la démontrer ; se tissant au-delà de la très petite fraction de notre champ de conscience dans le cerveau… Nous ne sommes évidemment pas 100% logiques et rationnels !

L’intelligence collective est donc un moyen d’atteindre et d’exploiter cette partie située au-delà de nos capacités de calcul, de nos capacités cognitives, grâce à des interactions entre personnes. Par les stimulations mutuelles, nous arrivons à dépasser la seule pensée purement logique et rationnelle, nous différenciant clairement de ce qu’un robot pourrait faire.

2/ Te semble t’il y avoir des ingrédients, des outils, des méthodes pour cela ?
Déjà, pour que cela marche, il importe que les humains interagissent ; dans un monde idéal, plutôt en face-à-face – même si cela est moins facile avec de grands groupes. L’interaction, pour qu’elle soit authentiquement humaine, se place du côté des flux non marchands (1)- à savoir la connaissance, la confiance et l’émotion.
Pour que l’intelligence collective puisse s’exprimer, il est nécessaire que des personnes puissent à la fois exprimer et recevoir ces flux non marchands, à savoir expression de la gratitude, expression émotionnelle, etc. Si nous nous auto-censurons, ou si nous essayons de rester dans une posture de robots, nous ne pouvons sortir réellement le produit d’une pensée collective.

Cela implique une mise en vulnérabilité ; je vais exprimer des émotions, des choses qui, puisqu’elles ne sont ni logiques ni froidement objectives, sont donc subjectives. Or quand je vais commencer à dire des choses, je vais avoir peur qu’on me juge, qu’on se moque, etc. L’une des conditions importantes de l’expression de l’intelligence collective est donc de créer ce qu’on appelle le « cadre de sécurité », que règne la bienveillance ; de créer un environnement propice à ce type d’échanges. Et il y a des techniques pour le faire ; pour créer le cadre de sécurité et faciliter l’expression des flux non-marchands. Ce savoir-faire facilite l’émergence de l’intelligence collective.

3/ J’aime beaucoup ton expression de « mise en vulnérabilité »… Le fait qu’elle ne puisse avoir lieu pourrait-il être l’un des points rédhibitoires, qui te ferait dire « Là, ce n’est pas la peine d’y aller » ?
Je vois 2 freins à ce que puisse s’installer un climat favorable à l’intelligence collective.
Le premier, c’est le cadre de travail terrorisant, où les flux non marchands sont impossibles. L’injonction est alors de rester « pro », et les personnes se sentent trop en risque pour oser s’exprimer.
Le deuxième existe lorsque, dans ces communications, quelqu’un n’est pas prêt à recevoir, ou donne sans écouter et bloque la conversation. C’est donc soit l’absence totale de flux, soit une asymétrie trop forte.

Il peut aussi y avoir un problème si les personnes sont bien ensemble, en sécurité, mais… n’ont rien à se dire ! Autrement dit, ne veulent pas aller dans la même direction. Alors c’est sûr, il n’y aura pas de résultat. Même s’il n’y a pas de facilitateur, il est nécessaire de s’assurer que tous veulent la même chose.

4/ Si l’on se concentre sur l’entreprise, quels ont été tes 3 premiers pas ? ou quels seraient tes conseils pour que puissent s’installer un climat, des réflexes et fonctionnements en intelligence collective ?
La mise en place d’un cadre de sécurité, comme l’émergence du purpose (mission, raison d’être de l’entreprise), est importante. Ainsi que de faciliter les échanges ; de liquéfier l’information pour minimiser l’enjeu et la prise de risque. Plus nous fluidifions les échanges et la structure interne pour que puisse circuler l’information, plus nous libérons la parole. Et ces techniques sont très accessibles. Ce n’est pas une demande que chacun parte faire 2 mois de Vipassana et se transforme ! C’est juste un préambule, qui plus est, réalistement faisable de manière top-down. Après la mise en place du cadre de sécurité, c’est du « lead by yourself ». C’est à chacun de se sentir suffisamment sécurisé pour s’autoriser. L’injonction – paradoxale - du « Sois libre ! Créatif ! Sois authentique ! » ne peut marcher !

La seule façon, pour le dirigeant, d’amener les autres à être eux-mêmes, est de le faire lui-même. D’être un exemple pour les autres. De montrer. Et d’être patient. Parce que tous vont croire qu’il y a un piège. Que cela va être temporaire. Donc se donner du temps… Mais on n’embauche par des consultants d’un grand groupe qui a pignon sur rue pour mettre en place un séminaire de 2 jours qui va transformer les gens ! Nous parlons ici d’un temps qu’il faut se donner. Comme la plante qu’il est difficile de faire pousser en tirant dessus ! Être exemplaire, sur le temps ; et dans cette vulnérabilité… Cela me semble la façon la plus efficace et convaincante.

En résumé, je dirais… de liquéfier l’information, d’être un exemple pour les autres, et de travailler la raison d’être de l’entreprise. Sur ce dernier point, mon conseil est vraiment d’éviter d’en imposer une top-down, du genre : « Avec le COMEX, nous allons réfléchir avec une agence de vision partagée pour redéfinir la raison d’être de l’entreprise, et nous vous la présenterons » ! Cela serait plutôt de poser des axes, des billes, pour indiquer quelques dimensions – 3 ou 4 – aux collaborateurs. Et de les amener à se positionner, de sorte que chacun cuisine sa propre raison d’être. Pour finalement que nous nous retrouvions, non pas avec une pensée unique sous le contrôle de la Pravda, mais avec les raisons d’être de chacun allant dans la même direction bien que formulées différemment ; probablement un peu décalées les unes vis-à-vis des autres. Si nous sommes dans un groupe où peut émerger l’intelligence collective, il vaut mieux avoir des objectifs légèrement écartés mais allant dans le même sens, et s’y sentir aligné chacun, plutôt que de faire semblant d’avoir tous le même objectif au millimètre près…

5/ De ton point de vue, existerait-il des limites ou contre-indications à l’intelligence collective ?
Aujourd’hui, en tant qu’humanité, en tant que société, nous ne sommes pas hyper forts pour manipuler, pour exploiter cette intelligence collective. J’ai le sentiment que notre maîtrise des processus d’intelligence collective ne nous permettrait pas de piloter un avion ! Ni de procéder à un certain nombre de tâches pour lesquelles il y a peut-être trop d’enjeu à court terme. Je n’exclus pas que dans 100 ans cela puisse se faire...

Bien sûr, je ne dis pas que l’intelligence collective doit être réservée à des sujets frivoles. Juste que notre intelligence rationnelle peut faire plein de choses que nous ne savons pas encore faire en intelligence collective. Je suis pour la gouvernance partagée, mais pas encore pour les centrales nucléaires ! Comme le dit Frédéric LALOUX (auteur de "Reinventing Organizations") : « Egalité de valeurs, différences de rôles, pour que chacun puisse être la plus vraie version de soi-même. » Être soi… C’est ma définition du bonheur ; et cela me semble être un prérequis à l’expression de l’intelligence collective.

Merci encore Duc, de cet échange, de nos échanges !

Propos recueillis en octobre 2019 par Carole Babin-Chevaye, auteure de textes et de moments au service de demains qui donnent en-vie.
C'est avec les outils de la #CONDUITE DU CHANGEMENT, des processus d'#IDEATION, de l''#INTELLIGENCE COLLECTIVE, du #CHEMIBEMENT PERSONNEL et de l'#ECRITURE que j'accompagne les dirigeants, startupers, chefs d'équipes, associations et projets. Objectifs :

. inviter chacun des membres à enrichir le groupe avec son histoire, ses talents et couleurs propres

. s'inscrire dans des futurs réalistes au regard des limites écologiques et sociales des vivants et de la planète

. s'investir dans une vision qui mette en mouvement et réveille l'optimisme, énergie autonome et abondante.

Les 3 leviers de ma méthode :

1. Cheminement personnel-> donner à chacun sa place pleine, riche et unique pour des JE accueillis

2. Intelligence collective -> recréer du lien et des zones de dialogues et d'écoute pour générer un « NOUS » fort

3. Ecriture d'un futur qui fasse en-vie, dont les jalons pour y arriver remettent en mouvement et en enthousiasme.

Contactez-moi : cbc (@) cbabinchevaye.com