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INTELLIGENCE COLLECTIVE EN MILIEUX CLOS : 5 QUESTIONS au Vice-Amiral d'Escadre Laurent MERER

En cette période de dé-confinement, rendez-vous avec Laurent MERER, Vice-amiral d’Escadre, écrivain, conférencier. Son expérience de longues périodes en mer, que cela soit en tant que Commandant des Forces Navales de l’Océan Indien ou Commandant en chef pour l’Atlantique m’a semblé parlante au regard de ce confinement / déconfinement que nous sommes en train de vivre…

Passionné et passionnant, l’homme enchaîne exemples concrets et regard global sur une situation inédite.

C’est en le recevant en tant qu’expert à l’APM que j’avais déjà découvert les passerelles qu’il savait établir entre le monde de la mer et celui de l’entreprise ; celles-ci me semblent toujours autant d’actualité dans ce moment de réinvention possible…

Nous avons parlé de son métier qui lui imposa de nombreux voyages aussi longs que lointains, éloigné des siens ; de ces ponts entre monde marin et monde de l’entreprise ; de l’humanité nécessaire pour mener un équipage en milieu clos. Il s’excusa presque d’aller, à ma demande, sur un registre plus personnel, évoquant sa femme et ses proches, sachant que sa carrière lui avait fait passer plus de temps loin d’elle, loin d’eux ; de ses petits-fils étudiants avec qui ils venaient de vivre ce confinement, racontant la richesse de ces "rencontres" ainsi occasionnées.

Un entretien comme je les aime, mêlant récit et vision, humanisme et pragmatisme !

#MarineNationale #Esprit d’Equipe #Collectif #Authenticité #CParti ! Merci encore à vous Laurent !

#1. Pour vous qui avez commandé de longues années des navires de guerre, à quoi renvoie l’expression "intelligence collective" ?

Dans la Marine, ce qui fait sens pour nous, c’est l’équipage ; on dit même faire équipage. On peut en effet avoir le bateau le plus performant, le plus sophistiqué, il ne donnera ce qu’il a que si l'équipage le donne. Et l’équipage, c’est un ensemble où chacun a sa place ; sans petits ni grands rôles. Chacun est un maillon indispensable, quelle que soit sa place dans la chaîne, sachant que la solidité de celle-ci réside dans la résistance de chaque maillon.

Il est aussi intéressant de noter que l'équipage a une personnalité propre, une personnalité collective, nous parlons d’ailleurs de Monsieur l’équipage. Lorsque j’ai été « chef d'escadre » en Atlantique et dans l'océan Indien, je me rendais couramment sur les bateaux de combats qui arrivaient sur le théâtre pour opérer sous ma responsabilité. En un ¼ d’heure, je sentais la personnalité du bateau. La façon dont les femmes et les hommes me regardaient, dont ils disaient bonjour, leur façon de sourire ou de piquer du nez... On sait très vite si c’est un équipage réactif, joyeux, qui marche bien. Si on va s’y plaire ou si on ne va pas s’y plaire. C’est une alchimie mystérieuse.

#2. Vous semble-t ‘il y avoir des ingrédients indispensables pour que puisse émerger sur un bateau comme au sein d'une escadre, la créativité et l'engagement de cette intelligence collective?

Quand vous arrivez sur un bateau de la Marine Nationale, 4 mots vous accueillent, inscrits au fronton en lettres d'or sur fond bleu. Ils peuvent paraître un peu ringards, désuets, mais font partie de nos valeurs, provenant de notre histoire de plusieurs centaines d'années, de notre expérience.

Ces 4 mots rappelés sans cesse aux marins : honneur et patrie, valeur et discipline.

Patrie, c’est le collectif. L’appel à plus grand que soi. C’est le… qu’est-ce que je fais là? A quoi ça sert? Pourquoi je suis là? Je vais être sur ce bateau pour… quelque chose qui va me dépasser. C’est l’histoire de la mission, de ce qu’on y faire, à replacer dans une histoire plus vaste. Plus collective.

L’honneur, c’est individuel. C’est mon comportement, pour en référer à quelque chose qui est plus grand que moi.

La valeur, c’est d’abord aussi mon affaire ; c’est mon talent, mais c’est surtout ma formation et le sérieux que j’y apporte.

Avec la discipline, on revient au collectif. Il ne s’agit pas du garde-à-vous rigide, mais bien de la fédération des talents pour faire en sorte que la valeur individuelle se transcende en valeur collective.

Quand vous montez à bord d’un bâtiment, ces 4 mots sont la première chose que vous voyez. A force de les avoir sous les yeux, les marins s'y inscrivent, chacun avec son niveau de réflexion. Nous les avons toujours conservés, en ayant soin d’en actualiser le sens.

Quant au commandant qui arrive pour « prendre son commandement », il doit avoir bien réfléchi à son comportement. Il va être observé. On va en effet sur le bateau de untel, pas sur le bateau d'un autre ! Cela s’apprend avec les commandants qu’on a « servis » - comme on dit chez nous - , et passe par un ensemble de comportements, de façons de se tenir, de porter son vêtement, de dire bonjour, de répondre à un salut. C’est aussi un regard, la façon dont on va – ou pas – s’adresser collectivement ou individuellement à l'équipage, à quelle fréquence. Il y a l’image, qui n’est pas du pipeau mais le reflet de la personnalité.

Me revint en mémoire une histoire que Laurent Merer avait raconté devant moi à des dirigeants, et que je lui demandai de nous rappeler…

Nous étions en opération dans l'océan Indien. Cela faisait 4 mois que nous faisions ainsi des interventions, parsemées d’attaques et d’opérations d'escorte de bâtiments dans un contexte de guerre.

Je me suis levé après une fort mauvaise nuit, parsemée de cauchemars, et suis monté directement à la passerelle. J'y étais, je le pensais, comme d'habitude. Sauf que je n'ai pas été comme d'habitude et que tout le monde s'en est aperçu ! Ce n’est que plus tard, quand je suis allé prendre mon petit déjeuner, qu’il m’a été rapporté les réactions des hommes de la passerelle disant : « Il a une sale gueule, le Vieux ». Moi, je n’avais pas idée de l'effet que je produisais parce que je ne m’étais pas rasé, ou parce que ceci ou cela. Mais tous l’ont vu, se disant alors « il y a quelque chose », « il s’est passé quelque chose ».

Cet exemple montre combien le comportement du Commandant est important. Le fait que j’ai « une sale gueule » donnait lieu à inquiétude, voire à de la peur. J’étais potentiellement porteur d’une mauvaise nouvelle qui pouvait impacter chacun.

Sur un bateau où tout le monde est dans cette situation d’éloignement et de fragilité, l’individuel rejaillit forcément de façon très forte sur le collectif. C’est une véritable responsabilité. D’où l’importance de la conscience à avoir de ce que notre image peut inspirer.

#3. Vous avez vécu de très nombreux confinements ou de déconfinements choisis — à la différence de celui que nous venons de vivre. Cela fait-il sens d’établir des comparaisons  ?

Si ces confinements étaient en effet "choisis", les membres de l’équipage avec lesquels nous partions ne l’étaient pas. Or sur un bateau, on dort, on se nourrit, on se distrait, on travaille et on a des activités dans un même lieu. Cela est complètement déroutant au début ; il n’y a pas de dispersion géographique. Un temps d’adaptation est généralement nécessaire pour prendre ses marques, même si l’organisation de la vie à bord est bien rodée.

Ensuite, et cela me semble important, il importe de réfléchir à l’utilisation de son temps. A l’organisation de ce temps. Si ce dernier est en effet contraint, ce n’est pas pour autant qu’il doit être perdu. Et cela ne s’improvise pas. Lors des périodes que j’ai pu vivre éloigné, dont certaines ont duré plusieurs mois, une année et jusqu’à 18 mois, je vivais dans une perspective quotidienne : aujourd’hui, demain, je fais quoi ? Quel est le but ? Et en fin de journée ou le jour suivant, pour que mon temps ne soit pas perdu, j’aurais fait quoi ? J’ai appris que cela se préparait, se contrôlait, se débriefait, prenant l’habitude de noter quotidiennement ce j’avais fait, qui j’avais rencontré, ce que je pensais, ce qui avait été dit, etc. – ce qui me permettait aussi d'y revenir. C’est ainsi que j’ai vécu mes périodes de confinement, de solitude sur les bateaux. Et cela a toujours été important pour moi de me dire que ce temps avait été utile. Qu’il m’avait permis de progresser.

J’ai d'ailleurs abordé ce récent confinement comme cela. En me posant la question de ce que je voulais faire de ces 4, de ces 5 semaines ou plus, et de l’organisation adéquate, afin de pouvoir, chaque soir, sans me juger, regarder de quoi je pouvais être satisfait et fier, mais aussi ce que j’avais manqué.

#4. Après l’homme de la Marine, c’est en tant que citoyen, père, grand-père et écrivain que j’aimerais vous faire réagir : que vous inspirent ces moments que nous vivons au regard du collectif, du vivre ensemble ?

Le citoyen que je suis a envie de réagir sur les masques et le confinement ! On nous demande de porter des masques, qui ne sont pas faits pour nous protéger, mais pour protéger les autres. Comme il nous a été demandé de nous confiner pour éviter d’engorger les urgences, donc pour protéger les autres. Et nous l’avons accepté. Nous sommes très individualistes… mais nous l’avons fait. Ce qui signifie que, dans les moments difficiles, nous sommes capables de collectif au-delà de notre individualité.

Après, il y a le regard du père de famille et de l’ami. Il me semble que finalement, cette période aura permis de revenir sur l’essentiel, se retrouver avec ceux qui comptent pour nous — ce qui pour moi est la famille et les vrais amis. Éparpillés à travers le monde, avec les membres de ma famille, nous avons fortement éprouvé le besoin de nous retrouver par Whatsapp ou téléphone. Quant aux vrais amis, le tamis a été extrêmement performant, permettant de faire un bon tri ! 😊

Enfin, la remarque de l’écrivain. Écrire un bouquin est une longue besogne, sachant que nous sommes tous obligés de faire autre chose pour vivre, courant ainsi après le temps pour écrire. Et ce temps nous a été offert ! J’étais en relation avec plusieurs amis écrivains. Tous me disaient la même chose : quel bonheur, nous avons du temps ! C’était le temps retrouvé !

Une Frégate type La Fayette fendant les flots et le Tourville que Laurent Merer a commandé un temps

#5. Et pour finir…

Dans notre travail de marin, nous sommes obligés de tenir compte de la capacité professionnelle, mais aussi de tout le reste, de l’individu dans sa globalité, même s’il n’est pas question de rentrer, au-delà du nécessaire, dans la vie privée des gens.

Au sein d’un équipage, sur un bateau qui est à la fois lieu professionnel et lieu de vie, il n’est pas possible de jouer un rôle pendant 4 mois, 6 mois, 1 an, 24 heures sur 24. C’est impossible !

Cette façon de vivre et de travailler est une machine à dénuder les personnalités, et force à être soi-même.

Laurent MERER, Vice-Amiral d'Escadre

Quelques liens :

- Laurent MERER : https://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent_M%C3%A9rer

- APM (Association pour le Progrès du Management) : https://www.apm.fr/

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Propos recueillis le 14 mai 2020 par Carole Babin-Chevaye, auteure de textes et de moments au service de demains qui donnent en-vie.
C'est avec les outils de la #CONDUITE DU CHANGEMENT, des processus d'#IDEATION, de l''#INTELLIGENCE COLLECTIVE, du #CHEMIBEMENT PERSONNEL et de l'#ECRITURE que j'accompagne les dirigeants, startupers, chefs d'équipes, associations et projets. Objectifs :

1. inviter chacun des membres à enrichir le groupe avec son histoire, ses talents et couleurs propres

2. s'inscrire dans des futurs réalistes au regard des limites écologiques et sociales des vivants et de la planète

3. s'investir dans une vision qui mette en mouvement et réveille l'optimisme, énergie autonome et abondante.

Les 3 leviers de ma méthode :

1. Cheminement personnel-> donner à chacun sa place pleine, riche et unique pour des JE accueillis

2. Intelligence collective -> recréer du lien et des zones de dialogues et d'écoute pour générer un « NOUS » fort

3. Ecriture d'un futur qui fasse en-vie, dont les jalons pour y arriver remettent en mouvement et en enthousiasme.

Contactez-moi : cbc (@) cbabinchevaye.com