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UCHRONIE : Reposer les bases avec Alain Damasio, écrivain de science-fiction

Uchronie* de l'épisode 21  du podcast "Dites à l'Avenir que nous arrivons"
· Uchronie,Alain DAMASIO

Automne 2050.
Mais tout a changé ici ! Une éternité que je n’étais pas venu dans ton antre, là-bas dans les Alpes-de-Haute-Provence.
Ce matin, arrivant au soleil levant, j’ai croisé des hôtes dont tu parlais déjà il y a quelques années, résidant à plein temps. Nids / nichoirs / ruches / perchoirs / abris / huttes & tanières sur fond de caquètements gazouillements, & autres pépiements : un vrai bain de vie !

Je me souviens d’un jour, avec tes amis pisteurs, naturalistes et autres passionnés,
en 2024 je crois, nous avions passé quelques jours à apprendre à repérer la plus légère virgule olfactive,
les indications contenues par la moindre fèce, le plus infime détail sonore, pour développer notre 3e oreille…
Ce n’est pas une de tes filles d’ailleurs qui est arrivée à développer une 3e oreille absolue - capable instantanément d’identifier sons, chants et nuances des oiseaux d’altitude ?

En tout cas, le contraste saisit, face à ce qu’était la crise de sensibilité aux espèces vivantes qui nous autorisait, il y a encore 10 ans, à annihiler d’un trait de plume la biodiversité.
Rien de grave… hein. Puisque ce n’était pas nous. Pauvres de nous.

Ce n’est que vers le milieu des années 30 que nous avons résolument entrepris de régénérer des liens,
à chaque fois spécifiques, singuliers, avec chacune des espèces vivant à nos côtés.
Rien de strictement poétique. Plutôt… un retissage entre habitantes et habitants de la planète. Sur une même fréquence, reliant nos facultés à résonner.

 

En arrivant, j’ai aussi vu plein de détails concrets qui témoignent de votre lutte opiniâtre à consommer
toujours moins d’énergie :
des vélos-tracteurs pour arriver ici aux fours solaires aperçus un peu partout,
jusqu’à votre réseau, strictement humain…
Ces mille et une petites choses font écho à la forte émergence de communautés en archipel,
révolution fractale. Oasis / Zones à désirer / Zones d’En-Vies / Aires d’Envol et de Partage / habitats partagés et autres expérimentations foisonnent. De toutes échelles et de toutes couleurs. Aux pratiques d’horizontalité
et pluriels féminisés.
Ça n’a pas été facile, mais quels progrès !

 

En parallèle, face aux températures devenues inconciliables avec la vie, les habitantes et les habitants des villes avaient libéré l’horizon en re-colonisant les toits, tandis que s’enclenchait dans le même temps le grand retour vers les campagnes - et encore plus vers les montagnes. Partir… Pour plus de possibles.
Mais il nous en a fallu du temps pour craquer cette idée de toujours bouger, de la ville vers la campagne, puis l’inverse quasi tout le temps embouteillé, à cramer une énergie fossile de malade pour se déplacer sans arrêt.
Ces mouvements incessants nous ont cependant mis en ébullition.
Nous avons alors baigné en pleine prototopie,
cette ligne de fuite ni dystopie ni utopie qui veut ouvrir des possibles.

Repolitisant le rapport au monde, elle révélait les lignes de coupes qui se posaient encore…


Comme celle de la quantification des échanges, fondamentale pour certains quand d’autres s’inscrivaient dans les trocs de services et le partage non monétisés, équilibre de dettes complexe, où certains jouent moins le jeu que d’autres… Le gratuit à lui seul ne changeant pas l’être.

Une seconde ligne émergea aussi très clairement entre ceux qui, choisissant de baisser leur niveau de confort, sont redescendus dans l’air direct, dans la confrontation, les échanges. Le jeu. Le don contre-don et ce que cela implique.
Et ceux restés dans le high tech et le confort facile de l’individualisme augmenté, attachés à leur technococon et à sa myriade d’IA personnalisées. Bref, englués dans l’accumulation et cette logique petite bourgeoisie dont nous avions tant de mal à nous extraire.

 

C’est pour contribuer à faire de nouveau société, dans un monde où le développement personnel était devenu le seul horizon que tu as développé cette nouvelle Epicurie,
jardin d’Épicure de la Technologie.

Où l’on enseigne l’utilisation de l’IA et consorts pour qu’ils nous servent plus qu’ils nous asservent.

Où l’on y apprend le discernement, l’embellissement du quotidien.
Où l’on dépasse le soulagement de nos paresses cognitives, en distinguant les désirs vains & superflus du retour à l’essentiel.
On l’on aime différemment, en restant créatifs. En choisissant des technologies nous ouvrant sur le monde plutôt que celles qui le déforment sous la pression de nos certitudes.

Très humains bien plus que transhumains en toute humalité.

Alors, bien sûr, tu me disais tout à l’heure qu’il est encore arrivé hier à votre porte 60 migrants climatiques, là où votre système fonctionne à tout juste 50…
Évidemment un combat qu’il nous faut encore mener ensemble.

Mais… Tu entends ? Ça doit être la fête qui commence ! Celle des 10 ans de la « Métamorphose des furtifs », fille de la charte du Verstohlen puis d’une longue Traversée. Face à la déroute politique et institutionnelle qui nous engluait encore dans les années 40, vous, les artistes et intellectuels, nous avez invités dans la plus profonde mais aussi la plus joyeuse et débridée des résistances. Réveillant nos vifs, assemblant nos cellules imaginales, vomissant tout ce qui n’était pas la paix, nous nous sommes embarqués. Irréversiblement.
Redéclenchant des pulsions de vie à créer des œuvres qui traverseront le temps ; à réaliser nos prototopies les plus humanimistes.

Femme et homme mousses, nous devenions papillons d’une nouvelle ère.

Celle d’une alliance inédite entre vivants de la Terre glissés les uns dans la vie des autres.
Pleurant dans les rivières.
En vulnérabilité et interdépendances.
Pour un destin commun.
Au fil de l’eau bien plus qu’au fil de l’épée.

Un texte de Carole Babin-Chevaye & Mathieu Baudin pour l'épisode 21 du podcast Dites à L'Avenir que Nous Arrivons.

*Uchronie, sur wikipedia : Selon l'inventeur du terme, Charles Renouvier, l'auteur d'une uchronie « écrit l'histoire, non telle qu'elle fut, mais telle qu'elle aurait pu être, à ce qu'il croit ».