Printemps 2050…
Cela m’a ravi que tu m’aies donné rendez-vous ici,
entre le FabLab génératif et la doxa room,
dans ce tiers lieu foisonnant qu’est maintenant le Collège de France
à l’orée de ses 520 ans.
Redevenue alternative à la voix docte du temps, cette école communale des autres
vibre plus que jamais
de ces savoirs libres,
de ces pratiques déliées,
offerts à toutes celles et ceux qui veulent faire bon usage de la fin d’un monde.
La crise des ailleurs n’y est d’ailleurs pas étrangère
ce tourbillon de possibilités lointaines qui
nous faisait passer par trop à côté de l’essentiel.
Des réveils, des déplacements, des migrations, il y en a eu.
Mais pas autant que nous l’imaginions.
Nous sommes finalement restés.
Creusant notre sillon.
Faisant ce que l’on avait à faire… mais en mieux !
Les gens ne sont aujourd’hui plus à leur place ; ils se déplacent.
Circulant, sans assignations.
Après avoir déconstruit, nous n’avons finalement pas construit tant que çà.
Nous avons plutôt pris soin.
Arrêtant de consentir à ces pensées d’autorité qui intimaient avec force que ce n’était pas fait pour ça.
Nous avons rendu n’importe quels mondes habitables.
À l’image de ces chemins de désirs en architecture,
Ces sentiers empiriques créés par les passages répétés
de ceux qui n’empruntent pas les chemins prévus.
Il a suffi de laisser germer…
D’aider les usages
à s’exprimer.
Librement.
Nous voilà donc finalement
toujours plus que jamais
au même point… mais recentrés.
Dans nos vies comme dans nos villes. Qui a 90 % étaient déjà constituées.
Etrange sentiment de revenir dans une maison d’enfance que l’on connaît déjà
mais où tout a été, tout de même,
légèrement déplacé.
Nous avons migré
là où nous étions.
Soulèvement subtil.
À l’image du public du théâtre des Collines, qui tous les soirs désormais
se rassemble sans se ressembler
on a commencé, enfin, à ne plus voir toujours les mêmes visages aux mêmes endroits,
fruit de la démocratisation des espaces d’expression et de culture.
Merci au bug de l’an 2037,
où, grâce à la chute des réseaux de communication
nous avons dû relever les têtes pour nous parler de nouveau.
Il nous avait fallu céder. Nous délivrer.
Lâcher nos portables.
Relever la ligne d’horizon
Et parler aux gens d’en face, dans la rue, au boulot et même dans le métro.
C’est vrai qu’on a bien été aidés en cela
par la fin de la télévision.
Car celle-ci, désireuse de reprendre le flambeau des réseaux sociaux, s’est perdue dans un tel niveau de vilipanderies, qui provoquèrent un abandon massif et spontané.
Le point de trop d’un faux comme d’intox.
Exit la spectacularisation de la politique arrivée à son summum ad nauseam.
L’inattention a ceci d’impitoyable que quand elle vous frappe,
plus rien ne peut plus y être déposé…
C’est terminé.
Cela fit écho à la lointaine crise du COVID,
où nous avions réalisé la géographie de nos attachements.
Commencé à apprendre à se déprendre.
Penser contre soi-même.
Être dans l’écart, et ne pas adhérer à son propre bloc de convictions.
Il restait cependant des tentations d’insensibilité !
Mais les jeunesses militantes s’y sont mises,
sorties de leurs bulles,
et parées de leurs forces de vie.
On vit surgir leurs mots, leurs colères, leurs projets antidotes.
Affichés en grand là ou avant,
ils les gardaient pour eux, entre eux.
Leur énergie a nourri nos élans collectifs.
On s’est mis à se faire de la place en espaçant.
De l’inspiration en respirant.
Nous sommes sur le point de mettre la touche initiale
À ce bel évènement qui se prépare l’an prochain au Palais de la Seigneurie à Florence,
Ou dans la salle éponyme, 500 exploratrices et explorateurs de ce Nouveau Monde
vont proposer leurs convergences, leurs expériences et leurs regards croisés
Pour désigner le temps d’une journée la Nouvelle Renaissance.
Et avant de rentrer dans l’amphithéâtre du temps long
Tu m’as rappelé tout à l’heure
« Il y a beau temps »,
cet écrit commun, de 2015, avec ton ami, Mathieu Riboulet disparu peu de temps après.
Il écrivait :
« Il y a beau temps que je me demandais
ce que ça pouvait bien faire au corps, au cœur et à l’esprit
de vivre une période où d’une année à l’autre
tous les signaux passent au rouge :
est-ce qu’on s’en aperçoit,
est-ce qu’on en prend la mesure,
est-ce qu’on y pense,
est-ce qu’on se laisse prendre par surprise,
est-ce qu’on se sent condamné à l’impuissance,
est-ce qu’on décide d’agir, mais alors pour faire quoi,
est-ce qu’on pense à partir, si on peut, et quand ? »
Je ne sais ce qu’il vivrait aujourd’hui,
dans ce monde même - qui n’est plus même.
Dans ce monde où
tu le disais…
Il s’est plutôt agi
de demeurer
en mouvement.
Un texte de Carole Babin-Chevaye & Mathieu Baudin pour l'épisode 22 du podcast Dites à L'Avenir que Nous Arrivons.
*Uchronie, sur wikipedia : Selon l'inventeur du terme, Charles Renouvier, l'auteur d'une uchronie « écrit l'histoire, non telle qu'elle fut, mais telle qu'elle aurait pu être, à ce qu'il croit ».